"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

lundi 30 mai 2016

Jean-Claude LARCHET: Recension/ Père Séraphim Rose, « Genèse, création et premier homme »

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Père Séraphim Rose, Genèse, création et premier homme. Traduit de l’anglais par Thierry Cozon, Éditions des Syrtes, Genève, 2016, 254 p.
Le père Séraphim Rose est une grande figure de l’orthodoxie américaine, mal connue dans le monde francophone. Né en 1934 à San Diego (Californie) dans une famille protestante ayant des origines françaises, il termina ses études secondaires comme major au lycée de San Diego, sortit diplômé de l’université de Pomona (Californie), suivit ensuite les cours d’Alan Watts (grand spécialiste des religions extrême-orientales, mondialement connu dans les années 60) à l’Académie des études asiatiques de San Francisco, avant d’obtenir un doctorat en langues orientales à la prestigieuse Université de Berkeley. Après avoir examiné soigneusement les différentes religions de l’Orient, c’est l’Orthodoxie qui entraîna son adhésion. Il entra dans l’Église orthodoxe à San Francisco en 1962, où il devint le disciple de l’évêque (futur saint) Jean (Maximovitch) de Changhaï et San Francisco. Après avoir fondé une fraternité missionnaire sous le patronage de saint Germain d’Alaska, il créa un monastère dans les solitudes sauvages du Nord californien où, avec quelques frères, il mena un vie ascétique austère qui lui valut une réputation de sainteté (ce monastère, dédié à Saint Germain d’Alaska, à Platina, existe toujours, et ses moines continuent à y vivre dans une grande pauvreté et des conditions difficiles, notamment sans électricité). Là, il écrivit un grand nombre d’articles et de livres, ayant tous pour but d’exprimer le point de vue de la Tradition orthodoxe par rapport à des courants de spiritualité modernes (New Age) ou en vogue (Hindouisme, Bouddhisme) ou à des théories philosophiques ou scientifiques posant problème au christianisme. Ordonné prêtre en 1977, il fut emporté par une courte maladie cinq ans plus tard, à l’âge de 48 ans. Après sa mort, ses livres – L’âme après la mortL’Orthodoxie et la religion du futurLa révélation de Dieu au cœur de l’hommeRéalité du Royaume célesteGenèse, création et premier hommeLe nihilismeLa place du Bienheureux Augustin dans l’Église orthodoxe – connurent un succès mondial, étant traduits en russe, grec, serbe roumain, bulgare, géorgien, français, lituanien, polonais, italien, chinois et malayalam (langue de l’Inde du Sud). Une biographie de 1000 pages lui a été consacrée en langue anglaise : Père Séraphim Rose : sa vie et ses œuvres.
Le présent volume regroupe plusieurs études du père Séraphim qui critiquent la théorie évolutionniste.
Une première partie est plutôt méthodologique et concerne la nature et les rapports de la théologie, de la science et de la philosophie, et affirme la supériorité de la première comme mode de connaissance. La deuxième partie est une critique du modèle évolutionniste. La troisième partie est une critique des penseurs chrétiens qui ont cherché à intégrer le modèle évolutionniste et à le concilier avec la conception chrétienne des origines du monde et de l’homme. La quatrième partie, qui occupe près d’un tiers du volume, expose la doctrine patristique de la création au regard de la conception évolutionniste et argumente en faveur de l’incompatibilité des deux approches (c’est une longue réponse à un article d’Alexandre Kalomiros, orthodoxe grec évolutionniste).
Disons-le d’emblée, le Père Séraphim Rose est un fondamentaliste pur et dur, et ses positions paraîtront sans aucun doute surprenantes à des lecteurs européens, peu habitués à la querelle qui aux États-Unis oppose – depuis longtemps dans un débat devenu banal – les créationnistes (en majorité évangélistes) aux évolutionnistes. Selon lui, par exemple, « l’univers n’est pas âgé de plus de 7500 ans » (p. 193), et le monde a été créé par Dieu en 7 jours correspondant à nos journées actuelles, chacune ayant 24 heures, pas une de plus ni de moins. Une position manifestement intenable, car les notions de semaine et d’heure n’étaient pas universelles dans l’Antiquité et se sont imposées tardivement dans l’Histoire (sur l’histoire du découpage du temps voir l’excellent livre de P. Couderc, Le calendrier dans la collection « Que sais-je? »). La Bible elle-même n’entend pas que les sept jours de la création du point de vue de Dieu correspondent à nos journées (voir pas exemple le psaume 90, 4 : « Car mille ans sont à Tes yeux comme le jour d’hier qui passe, comme une veille dans la nuit »). Il n’y a pas a priori d’obstacle, du point de vue de la foi chrétienne, à considérer que les jours de la création aient correspondu à de très longues périodes, ni que l’univers ait plusieurs millions d’années. Le père Séraphim Rose fait de l’Écriture et des Pères une lecture exclusivement littérale et historique, proche de celle du fondamentalisme protestant. Dans plusieurs passages il affirme que les Pères privilégient ce type de lecture, ce qui n’est pas exact. Même saint Jean Chrysostome, qui est apparenté au courant exégétique dit antiochien qui accorde une grande importance au sens littéral et historique, ne se limite pas à ce sens premier, et les représentants de l’exégèse dite alexandrine considèrent qu’il y a quatre types de sens dans l’Écriture : le sens littéral ou obvie ; le sens allégorique ; le sens tropologique (ou moral) ; et le sens anagogique (qui indique ce vers quoi on doit tendre). Origène ou saint Maxime le Confesseur par exemple accordent très peu de place au sens littéral et historique, et privilégient le sens spirituel, considérant que l’Écriture a le plus souvent un sens symbolique.
Cela dit le livre du père Séraphim Rose a le mérite de montrer les failles de la théorie évolutionniste, devenue un article de foi de la pensée moderne et enseignée comme un dogme intangible et obligatoire dans notre système éducatif, de l’école primaire à la terminale.
Il démontre que cette théorie n’est pas purement scientifique, mais a une base et des visées philosophiques, et que dans sa dimension scientifique même, elle présente de nombreuses insuffisances et contradictions. Outre qu’elle comporte des variantes qui ne sont pas compatibles entre elles (lamarckisme, néo-lamarckisme, darwinisme et néo-darwinisme, avec plusieurs écoles), elle ne permet pas de rendre pleinement compte de l’évolution qu’elle postule. C’est un fait bien connu et reconnu qu’il y a entre les espèces supposées avoir évolué de l’une à l’autre de nombreux « chaînons manquants », ce manque étant particulièrement criant en ce qui concerne le passage des prétendus « hominidés » à l’homme.
Il faut dire qu’il n’y a pas que les fondamentalistes religieux qui critiquent l’évolutionnisme: dès son apparition et jusqu’à nos jours, la théorie évolutionniste sous ses diverses formes a suscité des réserves de la part de philosophes (parmi lesquels Marx qui voyait dans le darwinisme une couverture pseudo-scientifique apportée au système concurrentiel du capitalisme, qui élimine les plus faibles et renforce les plus forts), d’épistémologues (qui ont souvent souligné sa dimension idéologique), d’historiens des sciences, et de scientifiques (un certain nombre de ces critiques sont recensées dans cet article).
Cette théorie, et toutes celles qui sont relatives à la paléontologie et à la cosmologie ont, sur le plan scientifique même, la faiblesse de ne pas pouvoir trouver de confirmation dans une expérimentation, et d’être limitées à une observation indirecte et partielle de vestiges ou de traces comportant beaucoup de lacunes. L’évolutionnisme n’est qu’une hypothèse (c’est-à-dire une explication supposée) présentant de nombreuses zones d’ombre et de nombreux points de fragilité.
Le père Séraphim Rose en présente quelques-uns. Il note que le rejet de l’évolutionnisme n’amène à rejeter ni la variation, ni le développement, ni amélioration des espèces, car c’est à tort que l’on assimile ces trois notions à l’évolution pour justifier celle-ci. Il montre que la théorie évolutionniste est avant tout une philosophie. Et surtout – c’est l’un des buts fondamentaux de son livre – il rappelle quelle est la conception qu’ont les Pères de la création, souligne que celle-ci reste normative pour les chrétiens et montre pourquoi, selon lui, elle n’est nullement conciliable avec l’évolutionnisme. Il faudrait rappeler ici de manière plus développée que la science et la religion n’ont pas les mêmes bases ni les mêmes visées: le but de la première est de tenter de donner une compréhension rationnelle, aussi cohérente que possible, des phénomènes (c’est-à-dire, étymologiquement, des apparences), tandis que la seconde est de donner, en se fondant sur une révélation, une connaissance spirituelle de ce qui transcende les apparences et qui donne sens à la vie de l’homme non seulement en cette vie mais dans l’au-delà.
Contre la pensée unique, matérialisme et athée, que notre société impose de manière de plus en plus coercitive et intolérante, le livre du père Séraphim Rose a le mérite de rappeler que l’évolutionnisme n’est pas un dogme intangible, et que sur la question de l’origine du monde et de l’homme d’autres façons de voir se justifient à partir de cadres de référence différents.
Jean-Claude Larchet

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