"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

dimanche 16 août 2015

"La seule voix avec laquelle un chrétien orthodoxe a le droit de parole est la voix de l'Eglise:" (1)

UNE CONVERSATION AVEC L’ARCHIMANDRITE IRENEI [STEENBERG]

Lors de sa visite à Moscou durant le mois de Juin, l'archimandrite Irenei [Steenberg], recteur de l'Institut d'études orthodoxes des saints Cyril et Athanase à San Francisco, archimandrite de l'Eglise orthodoxe russe à l'étranger, a visité le monastère Sretensky pour une entrevue avec Pravoslavie.ru. 

Père Irenei, érudit en études patristiques, et sur l'Église  ancienne, est également connu comme fondateur du forum d'Internet Monachos, dédié à l'étude de l'Orthodoxie à travers son patrimoine patristique et monastique, et comme responsable du podcast "Une parole des Saints Pères " sur Ancient Faith Radio.    

Père Irenei est questionné par Jesse Dominick


Archimandrite Irenei (Steenberg) at Sretensky Seminary

- Père Irenei, vos écrits et votre œuvre sont souvent centrés sur les Pères de l'Église, et en particulier sur l'anthropologie. Quels facteurs vous ont influencé, ou vous ont conduit à ce thème et quel message la conception orthodoxe de l'homme a-t-elle pour nous aujourd'hui au XXIe siècle?

- Je suppose que ce qui m'intéressait d'abord dans ce thème était le caractère concret de la personne humaine. J’apprécie l'abstraction d’une certaine discussion théologique, sur la métaphysique des relations trinitaires, etc. C’est très intéressant, et très utile dans certains contextes. Mais à la fin de la journée, nous sommes chair et sang. Je suis assis et je pose mon stylo et je regarde, j’ai des mains avec des lignes sur elles, et des rides. Je suis un être concret. 

Que faisons-nous de cela? L'Évangile m'a toujours touché comme étant profondément matériel. Le Christ devient chair, guérit avec de la boue, il verse de l'eau sur les gens et leur vue est rétablie. Cette "physicalité" concrète de l'Evangile, et de moi-même en tant que personne, est ce qui m’a attiré à vouloir comprendre: qu’est cette personne? Et puis nous entendons ces passages magnifiques dans les Écritures: Tu as fait l’homme un peu moindre que les anges... Qu'est-ce que l'homme pour que tu te souviennes de lui? (Psaume 8: 4, 5)… Ces questions, depuis que j’étais assez jeune, m'ont vraiment ému. Je voulais savoir ce qu’étaient les réponses, et je cherche toujours à approcher fidèlement les réponses.

Je pense aussi que, d'un point de vue pastoral, les questions concernant l'anthropologie sont de plus en plus pertinentes pour notre monde moderne. "L’anthropologie" en termes académiques semble sèche et abstraite; mais nous parlons de ce que signifie être une personne humaine, ce que c’est que d'être homme. Et s’il y a une question singulière qui est un défi au XXIe siècle, c’est précisément cela. Donc, au moment où nous commençons à penser que l'anthropologie est seulement un thème de tour d'ivoire pour les universitaires dans leurs bureaux, alors, jetons un coup d'œil à cette question. 

En particulier en Amérique, mais même ici, en Russie et partout en Europe et dans le monde, les définitions de base, les plus essentielles de ce qu'est une personne humaine, sont contestées sur une base quotidienne, si régulièrement que nous cessons de les voir comme des défis et nous acceptons tout simplement cette toile de confusion entourant la nature de la personne humaine. Donc, cette zone englobe une grande partie de ce qu'il est pastoralement et pratiquement utile de dire au monde moderne. "Qu’est-ce qu’une personne?" "Comment les personnes devraient-elles interagir les unes par rapport aux autres?" "Comment doivent-elles se rapporter à Dieu?" Ce sont des questions qui ne sont de plus d'importance de nos jours, qu'elles ne l'ont été en d'autres temps.

- A La lumière de tout cela, il y a eu quelques cas notables dans l’actualité récemment. En ce qui concerne la question transgenre de Bruce Jenner, j'ai vu au moins un article [1] citant saint Irénée, en disant que cette notion du corps étant un genre, tandis que l'esprit ou  l'âme est un autre genre, est peut-être juste un rabachage du gnosticisme qu'il [saint Irénée] a déjà vaincu. Pensez-vous que c'est là une utilisation appropriée de saint Irénée, et que dirait-il?

St. Irenaeus of Lyons

Saint Irénée de Lyon

-D’un côté, je dirais qu'il est facile de choisir votre hérésie préférée et de dire, "ceci est une répétition de telle ou telle hérésie." Parfois, il est trop facile de le faire, et nous collons des étiquettes à des choses sans vraiment y penser. D'autre part, la plupart des problèmes que nous voyons aujourd'hui sont tout simplement les rabachages d'hérésies condamnées il y a longtemps. Et cette question de savoir si la personne peut être dissociée de sa nature concrète créée par  la nature n’est pas une question moderne, malgré le fait que le monde semble penser que c’est une question très «progressiste», moderne et du ressort de "la libre-pensée." 

C’est, en fait, une discussion très ancienne qui a eu lieu de nombreuses fois au cours de l'histoire, et dont l'Eglise a parlé. Donc, si oui ou non saint Irénée lui-même aurait examiné les questions de notre vingt et unième siècle et les aurait assimilées avec ce qu'on appelle la gnose (saint Irénée était très prudent à identifier précisément les erreurs), je ne pense pas qu'il prendrait tout simplement un gros pinceau et peindrait tout le monde de la même couleur, je pense qu'il dirait qu'il y a très peu de nouveau dans ces discussions. 

Il identifierait peut-être des thèmes communs. Cette idée de "mon identité" étant quelque chose que je peux séparer de ma nature créée, je crois qu'il la verrait comme portant des similitudes avec les gnostiques qui avaient une sorte de mépris pour la physicalité, et voyaient leur "soi réel" comme étant leur âme, quelque chose de détaché de leur corps physique. Il verrait certainement là quelques points communs. Mais l'ingrédient clé est que nous ne sommes pas vraiment face à quelque chose de nouveau. 

Que ce soit les questions d'homosexualité, ou de transgenre, ou d'identité culturelle, ou quoi que ce soit d’autre, ce sont juste de nouveaux visages liés à de très anciennes discussions.


Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

Aucun commentaire: