"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

dimanche 31 août 2014

Panayiotis Christou: La Vie Monastique dans l’Eglise Orthodoxe (5)



Moine russe


Les idéaux de la vie monastique
      Comme les premiers ascètes se retirèrent du monde dans le désert, ils étaient décidés à se détacher de nombreux biens de ce monde: le mariage, la richesse et l'action indépendante. Le célibat n'admettait pas de degré, mais était absolu. Dans la pauvreté, cependant, il s'est produit la modification que nous avons mentionné ci-dessus à propos de la vie idiorrhythmique. Mais même ici, la pauvreté était essentiellement maintenue, car la propriété des moines idiorrhythmiques n'a jamais été suffisante pour vivre confortablement. Enfin, l'obéissance, soit à un higoumène ou au père spirituel du désert, l'abba, était une préoccupation importante des moines. 

L’esprit égoïste, indépendant représentait le monde séculier, et devait donc être complètement déraciné. C'est-à-dire, que le jeune ascète devait remettre sa volonté mauvaise à Dieu dans la personne de son père spirituel, afin qu'elle puisse être transformée en une bonne volonté. Ce point est clairement illustré par une anecdote dans laquelle un abba, désireux de tester le degré d'avancement de son fils spirituel, lui demanda s'il voyait les cornes-qui étaient non-existentes- d'une bête de somme qui passait par là; et il répondit sans hésiter: "Oui, je les vois, abba."

      Le respect de ces trois vertus est assuré par les novices dans un vœu spécial, au cours duquel ils sont tonsurés. La formulation de ce vœu a coïncidé avec la fondation du système cénobitique, et la base scripturaire et doctrinale du monachisme fut élaborée peu après. Sans elle, le monachisme était en danger de dévier dans le sens des Messaliens itinérants. De cette façon, la soumission du monachisme à l'Eglise, et la canalisation de son pouvoir de direction qui ont été utiles à l'Eglise ont été atteints. Cette soumission a été scellée par Justinien et incorporée dans les lois (Nearai, 5, I.67, i).

      Les vices qui menacent l'intégrité morale de l'ascète ne sont pas ces seuls trois vices. Dans l’arétologie [partie de la philosophie morale qui traite de la vertu] subséquente, d'autres vices, en collaboration avec ceux-ci, constituent les huit pensées mortelles: la gourmandise, la fornication, l'avarice, la colère, la tristesse, l’acédie [découragement spirituel], la vanité et l'orgueil. Les passions qui correspondent à ces pensées doivent être anéanties et un état d'impassibilité atteint. L'auto-examen et l'auto-censure, surtout avant d'aller dormir, fournissent au moine des armes puissantes, car il s’apprête à lutter contre les démons. Mais son arme principale est la prière continue et la prière intense. L'ensemble de la vie des moines est dominée par cette conversationavec Dieu; "Toute la vie est un temps pour la prière" (Basile, Discours ascétiques, PG, XXXI, 877).

      Les vingt-quatre heures de la journée du moine sont divisées en trois périodes de huit heures: une pour la prière, une pour le repos, et une pour le travail. Leur travail intense a un triple objectif: assurer leurs moyens de subsistance, afin d'aider leurs semblables, et éviter les mauvaises pensées, qui envahissent la conscience de l'homme, notamment quand il est au repos. Les produits de l'art et de l'artisanat monastique ont toujours été d'une qualité exceptionnelle et sont toujours en forte demande, en particulier leurs peintures et sculptures sur bois. En outre, des œuvres de la littérature classique et chrétienne ont été conservées dans des copies qui sont venues des ateliers monastiques.

     Les activités philanthropiques des moines étaient liées à leur travail. Comme nous l'avons déjà observé, cette dévotion à la philanthropie a été promue et systématisée par Basile le Grand. Après son époque, un monastère sans maison d'hôtes, sans hôpital et sans école était inconcevable. Un simple exemple, nous pouvons dire que le monastère de Pantocrator à Constantinople, qui a été créé au XIIe siècle, avait un hôpital avec des hommes et des femmes médecins, organisés d’une manière qui rappelle les hôpitaux d'aujourd'hui. Il était divisé en quatre sections: médecine, chirurgie, gynécologie et infirmerie pour les yeux et l’ouie. Les vestiges de cette activité philanthropique sont encore visibles de nos jours. Les Bédouins qui vivent près du monastère du Sinaï, ne font jamais leur propre pain, mais il leur est donné gratuitement par le monastère de Sainte-Catherine; et ceux qui visitent tout monastère orthodoxe y reçoivent une hospitalité gratuite.

      Les moines qui s'occupaient de travail, comme nous l'avons décrit ci-dessus, et y combinent la lutte pour se libérer des passions et servir ceux qui en ont besoin, ont été appelés autrefois actif (de praktikoi). Mais au-delà de l’action, il y a une étape supérieure dans l'échelle de la perfection monastique: la contemplation (theoria), l'aspiration à la communion directe avec Dieu et Sa vision. Cette différenciation des activités de moines se rencontre très tôt, dans un poème de Grégoire le Théologien:

                     "Préfèrerez-vous l'action ou la contemplation?
                       La contemplation est l'occupation des parfaits,
                       L’action appartient à la majorité.
                       Toutes deux sont bonnes et chères;
                        Choisissez celle qui vous sied."

      Le silence a été une condition indispensable pour l'ascète dans sa quête de la perfection. Par le silence, on entend le calme intérieur et la tranquillité extérieure connexe à travers laquelle les causes de la passion sont supprimés. Cet état a donné son nom à la dernière période brillante de la théologie mystique byzantine: l’hésychasme.

       Le silence était indissolublement lié à l'ascèse chrétienne. Les efforts des premiers moines dans ce sens ont pris la forme d'éviter le babillage et de rester silencieux lorsque les circonstances l'exigeaient. Abba Poimen est cité comme ayant dit: "Celui qui parle au nom de la volonté de Dieu agira justement; et celui qui demeure silencieux pour le bien de la volonté de Dieu agira également justement." (Sentences des Pères, 721). Dans tous les cas, l'élément de silence, même s’il n'est pas trop prédominent dans la pensée monastique, a ensuite reçu une plus grande attention en raison de son lien avec la prière intérieure. Il a été jugé que la prière, comme produit de la disposition du cœur, n'a pas besoin d'être exprimée à haute voix, dans la mesure où une telle expression, en produisant des stimuli externes, peut interrompre la concentration sur l'objet de la prière. Ainsi, il en résulta l'oraison mentale intérieure, qui est devenue cristallisée dans la brève prière de Jésus, répétée sans cesse.

      Entouré par l’absolu, le silence spirituel, les yeux spirituels des moines "contemplatifs" sont ouverts. Ils deviennent dignes de visions et profitent de l'expérience spirituelle qui ne peut être décrite qu’avec difficulté. Ils vivent dans un état ​​d'illumination continue de vision de la lumière, et de communion avec les choses de la lumière. Le mot "lumière" et d'autres termes connexes sont rencontrés presque à chaque page des écrits de Siméon le Théologien et de Grégoire Palamas. Cette lumière est une partie de Dieu. Grâce à une fusion paradoxale de l'historique avec le méta-historique, l'expérience de la déification (theosis) devient possible ici et maintenant. La lumière qui a été vue par les disciples du Christ sur ​​le mont Thabor, la lumière que les hésychastes voient aujourd'hui, et la qualité lumineuse du monde à venir, constituent trois phases d'un seul et même événement spirituel, fusionnés en une seule réalité supra-temporelle.

      La domination unilatérale de la tendance "contemplative" a contribué à la négligence de la mission sociale de la vie monastique en Orient, contrairement à l'évolution de l'Occident. Malgré les tentatives qui ont été faites de temps en temps, la réorganisation de la vie monastique sur les anciennes fondations, en particulier sur la règle de saint Basile le Grand, n'a pas réussi, parce que ces tentatives ont été limitées dans leur portée et en intensité. Sans négliger la "contemplation", à laquelle la littérature et la piété religieuse doivent tant, il y a une nécessité d'agir pour souligner une fois de plus, et pour les monastères d’être établis pour promouvoir les idéaux chrétiens au sein de la société organisée de l'humanité.



Version française Claude Lopez-Ginisty
d’après

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