"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

lundi 7 avril 2014

Père Barnabas (Powell): Le corps n'est-il pas saint après la mort?





Tout est possible à Amsterdam. Un article de The Economist décrit récemment comment les morgues néerlandaises sont les pionnières d'un nouveau domaine dans les énergies alternatives, qui donne un nouveau sens à l'expression "puissance du peuple"*. 

Puisque la crémation des cadavres implique tellement d'énergie, les fours crématoires sont reliés aux réseaux d'électricité municipaux de crainte que cette précieuse ressource ne se perde. Certaines personnes meurent littéralement pour devenir des ressources [énergétiques] bon marché et renouvelables. Il y a juste un "hic". Les émissions de déchets issus du processus ne sont pas tout à fait assez vertes pour les sensibilités écologiques néerlandaises, aussi davantage de recherche est nécessaire pour développer une technologie véritablement propre à partir des cadavres. Cela peut sembler un scénario extrême, mais nous ne sommes pas loin d'en arriver à accepter une pratique autrefois considérée comme anathème.

J'ai entendu des raisons non éclairées s'opposer à la crémation, comme l'idée que Dieu ne sera pas en mesure de rassembler les cendres dispersées à la Résurrection. De telles absurdités remettent non seulement la puissance de Dieu en question, mais elles portent également atteinte à la mémoire des personnes tuées dans des incendies accidentels, ou lors des horreurs de la guerre.

Depuis que l'Eglise catholique a cessé d'interdire l'incinération en 1963, l'Eglise orthodoxe (avec le judaïsme orthodoxe) a du expliquer sa propre opposition non seulement au grand public, mais à ses propres fidèles aussi. L'insistance orthodoxe sur l'enterrement est fondée sur le respect du corps humain comme œuvre de Dieu. Le récit biblique de notre création à l'image de Dieu ne s'applique pas seulement à nos facultés rationnelles, mais aussi à notre être physique. La bonté du monde créé, et du corps, est prouvée lorsque le Christ se fait chair pour le racheter.

La notion d'une divinité incarnée était anathème pour les païens gréco-romains (ainsi que les Gnostiques et autres "dualistes" à la fois anciens et modernes), qui croyaient toutes les choses matérielles étaient intrinsèquement corrompues et illusoires, et que seul l'immatériel avait une valeur rédemptrice. Ils pratiquaient l'incinération comme un moyen de libérer la bonne âme du mauvais corps. La crémation signifiait détruire prison matérielle de l'âme, ce qui lui permetrait de s'échapper.

Au début, Chrétiens et Juifs, d'autre part, vénéraient les corps des défunts comme reflétant encore la sainteté de Dieu. Pour ceux qui célébraient la mort, l'ensevelissement et la résurrection du Christ, la crémation est devenue impensable. Ils traitaient leurs morts comme le Christ, les oignants d'épices parfumées, les enveloppant dans des linceuls et les déposant dans la terre. Les lieux des morts, les catacombes devinrent les lieux de rassemblement pour le culte.

Quand ils ont commencé à souffrir la persécution, les chrétiens emportaient les corps de leurs martyrs, baisant leurs os et faisant éventuellement des pèlerinages à leurs tombeaux. Les bâtiments de l'église sont apparus, les sanctuaires des martyrs y ont été incorporés en plaçant leurs os dans les pierres d'autel, pratique orthodoxe jusques à ce jour.

Peu de choses semblent plus macabres pour les esprits éclairés que de baiser les os des morts. Inversement, peu de choses auraient semblé plus anathème pour les premiers chrétiens que de brûler un corps, écrasant ses os et dispersant ses cendres ou les gardant dans un bocal.

La crémation, hors la loi comme profanation païenne par un édit impérial au cinquième siècle, est en train de devenir la méthode préférée d'élimination des corps, même parmi les chrétiens. Bien que n'étant pas délibérée, des rejetons de l'ancien dualisme imprègnent la mort moderne. J'ai eu une fois à informer une femme qui avait déjà les cendres de son mari dans une boîte que je ne pouvais pas l'enterrer. Elle ne pensait pas qu'un enterrement était nécessaire de toute façon, car il était déjà à la fête dans le ciel! Son âme était "lui", tandis que son corps était devenu négligeable.

Comme un de mes instructeurs du séminaire le dit en plaisantant un jour, "Nous vivons comme des hédonistes et mourons comme des platoniciens." Nous vivons comme si notre corps est l'essence même de notre être, mais tout à coup il ne devient rien quand nous mourons. Ce n'est pas mon intention d'offenser ceux qui ont eu des proches incinérés, mais de provoquer une réflexion approfondie de la façon dont nous voulons être traités quand nous mourons. Chaque méthode implique une croyance sur la signification du corps, soit c'est une icône divine, ou tout simplement une coquille vide.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

* Jeu de mot: power signifie puissance, pouvoir, mais aussi force motrice, dans le sens de puissance productrice d'énergie 

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