"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

vendredi 14 novembre 2014

Père John Breck: Dormition ou Assomption (R)


Dans notre tradition orthodoxe nous prenons généralement bien soin de distinguer entre la "Dormition " de la Mère de Dieu et son "Assomption" au ciel. Le premier terme, à notre avis, est bien orthodoxe, tandis que le second nous apparaît comme une désignation purement occidentale, dérivée d'un "malentendu" catholique sur la signification de cette fête, universellement célébrée le 15 août.

Il est vrai que certaines interprétations très sincères, mais erronées de la mort de [la Vierge] Marie et de son exaltation se trouvent aussi bien dans les écrits spirituels catholiques et dans les icônes contemporaines de l'Ouest: une tendance, par exemple, à exalter la Sainte Vierge à un niveau de "divinité" qui efface de manière efficace la distinction essentielle et absolue entre la vie humaine et divine. Les théologiens orthodoxes insistent pour que la "déification" (theosis) connue par la Mère de Dieu, n'engage en aucune façon une transformation ontologique de son être, de l'humanité créée à la divinité. Elle a été et restera toujours une créature humaine: la plus exaltée de toutes celles qui portent l'image de Dieu, mais toujours un être humain, dont la gloire apparaît dans son humilité, dans son simple désir d'accepter "que cela soit", selon la volonté divine.

Les icônes orthodoxes traditionnelles de son «endormissement», par conséquent, se concentrent particulièrement sur sa mort et mise au tombeau. Les disciples, "rassemblés de toutes les extrémités de la terre", l'entourent, dans une attitude de douleur et de lamentation. Derrière le cercueil sur lequel elle est posée, là est son Fils glorifié, tenant dans ses bras un enfant vêtu d'habits blancs radieux, image de l'âme de Sa mère. C'est un thème inverse. Sur tous les iconastases orthodoxes, on trouve une image sacrée de la Mère de Dieu, tenant dans ses bras son enfant nouveau-né, l'Homme-Dieu qui "a pris chair" pour sauver et sanctifier un monde déchu, pécheur, brisé. Ici, dans l'icône de la Dormition, le Fils tient dans Ses bras et offre à ce monde Sa sainte Mère, comme elle le faisait avec Lui à l'époque de sa Nativité. Lors de sa dormition, il reçoit son âme, sa vie, afin de l'exalter en Lui et avec Lui, pour la gloire, la beauté et la joie de la vie éternelle.

Dans de nombreuses icônes orthodoxes, toutefois, cette image primaire est complétée par une autre: la représentation de la Mère de Dieu montant au Ciel, accompagnée par une foule d'anges. Nous trouvons ce double motif notamment dans les icônes post-byzantines telles que la Koimesis (Dormition) du monastère de Koutloumousiou au Mont Athos, datée d'environ 1657. (Vladimir Lossky note d'autres représentations semblables dans son commentaire sur la Dormition, inMeaning of Icons (Signification des Icônes), Boston, 1969, p. 215.) Doit-on en conclure que ce double thème, qui représente à la fois la Dormition et l'Assomption de la Mère de Dieu, est simplement le résultat de l'influence occidentale?

En fait, si nous l'étiquetons "Assomption" ou "Ascension" de la Mère de Dieu, cette image complète celle de la Koimesis d'une manière qui est en parfait accord avec la théologie orthodoxe. Tout comme le Christ est mort et reposait dans la tombe, pour être ressuscité et élevé au ciel, ainsi Sa sainte Mère "s'endort", pour être élevée par son Fils et exaltée avec Lui dans le Ciel. Par Sa Résurrection et l'Ascension, il fournit les moyens par lequels la "Mère de la Vie", avec tous ceux qui demeurent en Lui, peuvent être ressuscités des la morts et élevés à la Vie transcendante.

Si nous comprenons "l'Assomption" de la Mère de Dieu à la lumière de l'Ascension de son divin Fils, nous pourrons alors apprécier la double représentation de la Dormition et de l'Ascension que l'on retrouve dans nombres de nos icônes orthodoxes. La Sainte Mère de Dieu, la Théotokos ou "Génitrice de Dieu", est le premier des fruits de l'accomplissement eschatologique qui amèneront toute l'œuvre créatrice et rédemptrice de Dieu à sa fin. Elle est le vaisseau dans lequel la Deuxième Personne de la Sainte Trinité "a pris chair" et est devenu (un) homme, afin de donner le salut à la race humaine. Son sein, "plus vaste que les cieux", contenait l'Incirconscrit. Il a pris Son existence humaine d'elle, et elle l'a accompagné avec amour et prière pendant toute la durée de son ministère terrestre, jusques au pied même de la Croix. Elle partagea pleinement Sa souffrance, supportant Sa crucifixion et Sa mort dans les profondeurs de son âme. Par conséquent, elle est l'image parfaite de l'Eglise, la communion éternelle de tous ceux qui vivent et meurent dans le Christ.

Ils seront, comme elle, ressuscités en Lui et exaltés à la même gloire à laquelle il a élevé et transformé leur nature humaine déchue. Elle est ainsi un précurseur de leur salut, une image prophétique de la vie glorifiée qui attend tous ceux qui portent le Christ dans les profondeurs intérieures de leur être, comme elle L'a porté au plus profond de ses entrailles.

Pourtant, elle est plus que cela. Elle n'est pas seulement un modèle de la communauté de destin du peuple chrétien. Elle l'accompagne également à toutes les étapes de son voyage, lui offrant , nous offrant, sa prière et son amour incessants. Dans sa Dormition et dans son élévation au ciel, elle "n'abandonne pas le monde", mais reste, comme les hymnes liturgiques de la fête le proclament, la Mère de la Vie, qui est "constante dans la prière" et "notre ferme espérance, "qui, par ses prières" délivre nos âmes de la mort! "



Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

N.B. : Le dictionnaire Slavon/Grec/Latin du XVIIIème siècle (Leksikon treïa Zîtchnii/ Lexikon Triglotton/ Dictionarium Triolingue) publié à Moscou en 1707, traduit le terme slave Ouspénié ou grec Koimisis, non par le latin Assumptio, mais par le terme Obdormitio, qui semble oublié à présent. (C. L.-G.)

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